Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin - Critique du film par Télérama

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Marseille, ses quartiers difficiles, ses trafics, sa violence, mais sans le folklore. La vérité de cette ville où il a passé son enfance, Jean-Bernard Marlin la cherche dans les visages de ses personnages, métissés comme leur langage — un mélange pas toujours facile à comprendre d’argot français et arabe. Avec Zac, qui sort de prison, à 17 ans, pour repartir dans un foyer dont il s’échappe, court dans les rues, vole à l’arraché et s’envole sur une moto, c’est Marseille qui vibre, dangereusement. Et dans les yeux mélancoliques de Shéhérazade, prostituée adolescente, se reflète la sombre dureté de la cité phocéenne… Porté par la grâce de deux comédiens non professionnels, Dylan Robert et Kenza Fortas, eux aussi marseillais, ce premier long métrage noue d’emblée des liens avec le cinéma de Maurice Pialat (À nos amours)  et celui d’Abdelatif Kechiche (La Vie d'Adèle), réalisateurs passionnés par la jeunesse. Celle de Zac et de Shéhérazade appartient déjà au passé : elle se lit sur leurs traits, mais eux semblent l’avoir oubliée. Leur duo se forme à l’aveuglette, dans la routine des petits business. Elle se vend, il surveille ses clients, encaisse l’argent. Et puis, histoire simple et magnifique, l’amour surgit entre eux et les rend à leur jeunesse, qui refleurit, comme un besoin de fusion réparatrice.

Zac, qui cherchait par tous les moyens à revenir chez sa mère, pas pressée de le reprendre, ne court plus. Il ne veut pas quitter le cocon reformé avec Shéhérazade, qui dort à côté de lui comme un bébé, en suçant son pouce, dans une petite chambre où vit aussi une prostituée transsexuelle. Au cœur d’une réalité qui reste éprouvante naît une douceur intense. C’est à une éducation sentimentale en accéléré qu’on assiste : en devenant des amoureux de leur âge, en s’accrochant à leur passion adolescente, Zac et Shéhérazade vont, d’un coup, avancer vers l’âge adulte.

Mais, au gamin de 17 ans qui s’est épris de celle dont il s’était fait le souteneur sans le vouloir, les amis du milieu mafieux rappellent leur code d’« honneur » : il ne faut avoir aucun respect pour les putes. En aimer une, c’est trahir le clan. Cette loi apporte dans le scénario des éléments de polar qui s’intègrent parfaitement à l’univers presque documentaire du film. Dans la dernière partie, la mise en scène change de style, multipliant des cadres fixes qui semblent mettre Zac au pied du mur, le forcer à choisir son camp.

Avec sensibilité et intelligence, Jean-Bernard Marlin a construit ce film autour d’une question d’actualité : le respect pour la femme, quelle qu’elle soit. En plongeant dans un milieu machiste, où le mépris pour les filles de la rue conforte un sentiment de domination, le jeune cinéaste séduit, d’abord, par sa générosité, et impressionne, finalement, par son courage et sa vigueur critique.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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